Ce que révèle le débat sur la fin de l’Internet illimité
Interview de Marwan Burelle, directeur du laboratoire « Système et Sécurité » de l’EPITA.
La rumeur lancée par OWNI pendant l’été s’est répandue dans toute la presse française : les opérateurs seraient en train de remettre en cause l’accès illimité à l’Internet sur les fixes, comme semble le présager un document interne de la Fédération française des télécoms (FFT). Marwan Burelle, directeur du LSE, a bien voulu répondre à quelques questions sur le sujet.
La remise en cause de l’Internet illimité sur les fixes est-elle justifiée ?
Dans le document en question, les opérateurs envisagent l’hypothèse d’un « plafond de consommation » et d’un « débit IP maximum ». L’argument principal avancé par les opérateurs appartenant à la FFT, parmi lesquels France Telecom, Bouygues Telecom et SFR, est la diminution de la charge du réseau, pour une meilleure qualité de service.
En réalité, l’extension aux fixes de telles mesures, qui existent déjà pour les smart phones, n’est pas justifiable par des contraintes techniques. En effet, sur l’ADSL, il n’y a pas de raison qu’il y ait des problèmes de bande passante. La seule contrainte technique est la distance de l’utilisateur à la centrale télécom, qui peut limiter le débit disponible pour l’utilisateur. Une solution à ce problème serait plutôt l’élaboration d’un plafond fixe redistribuant les données selon la distance à la centrale, pour plus d’égalité entre les utilisateurs.
Quelle est alors la véritable raison de cette mesure envisagée ?
Bien entendu, elle est économique. Des pratiques d’échanges alternatives telles que l’e-mail et l’utilisation de logiciels gratuits comme Skype ont mis fin à l’âge d’or de la téléphonie où toutes les communications étaient payantes. Le développement de ces pratiques a créé un manque à gagner pour les opérateurs de téléphonie traditionnels, qui cherchent à récupérer des sources de revenus en réintroduisant les usagers non experts dans des circuits payants.
Cela permettrait pour ces opérateurs d’une part de faire revenir les usages vers leur ancien mode de fonctionnement, et d’autre part de limiter l’accès à Skype et aux autres activités peer to peer nuisant à ce mode de fonctionnement. Il faut savoir que la majeure partie des dépenses de ses opérateurs consiste en frais de maintenance du système.
Cette restriction a-t-elle une chance de se produire, et si oui, quel serait l’impact pour l’internaute ?
De manière générale, mon point de vue de technicien me fait considérer que l’idée d’une régulation sur Internet est assez illusoire. D’autre part, pour qu’une limitation de l’accès à Internet se produise, pour que des seuils soient imposés, il faudrait un consensus de la part de tous les opérateurs. Or un opérateur comme Free spécialiste de l’Internet et qui possède une philosophie très favorable à la liberté d’accès, restera probablement hostile à de telles mesures.
Si toutefois une telle évolution de l’offre arrivait, c’est essentiellement aux utilisateurs avancés d’Internet, qui ont des usages particuliers demandant une grande quantité de bande passante qu’elle nuirait. D’autre part, l’apparition d’une alternative aux opérateurs, aujourd’hui incontournables, n’est pas à exclure. Actuellement, à Washington DC, un groupe de jeunes gens, à travers un projet intitulé « Commotion » , achève la mise en place d’un logiciel rendant possible la création de réseaux sans fil à haut débit complètement autonomes, qui utiliseront les fréquences wifi, indépendamment de toute infrastructure existante.